17.

 

 

Le 8 septembre 1864

Elle n’est pas qui elle a l’air d’être. Devrais-je en être surpris ? Terrifié ? Blessé ? C’est comme si tout ce que je pensais savoir, tout ce qu’on m’a appris, tout ce en quoi j’ai cru au cours des dix-sept dernières années était faux.

Je peux encore sentir ses baisers sur ma peau, ses mains dans les miennes. Je continue à me languir d’elle et pourtant, dans ma tête, la voix de la raison me crie : « Tu ne peux pas tomber amoureux d’un vampire ! »

Si j’avais une de ses pâquerettes, je pourrais en arracher les pétales un à un et laisser la fleur choisir à ma place. Je l’aime… un peu… beaucoup… pas du tout…

Je l’aime.

Je suis amoureux d’elle. Peu importe les conséquences.

Est-ce que c’est ça, suivre son cœur ? Si seulement il existait une carte ou une boussole pour m’aider à trouver la voie. Mais je lui ai donné mon cœur et ceci, plus que tout, est mon étoile Polaire… Ça devra suffire.

 

Après avoir quitté furtivement l’annexe pour regagner mes quartiers, je parvins, sans trop savoir comment, à dormir quelques heures. À mon réveil, je me demandai une fois de plus si tout n’était qu’un rêve. Mais alors, je bougeai ma tête sur l’oreiller et vis une petite tache cramoisie de sang séché. Je touchai ma gorge et sentis une blessure ; bien qu’elle ne me fasse pas souffrir, elle rendit bien réels les événements de la veille au soir.

J’étais exténué, rongé de perplexité et en même temps exalté. Mes membres étaient mous, mon cerveau bouillonnait ; j’avais, d’un côté, l’impression d’être atteint de fièvre et, de l’autre, une sensation de calme et de paix que je n’avais jamais éprouvée.

J’enfilai ma tenue pour la journée en prenant grand soin de nettoyer la plaie avec un linge humide et de la bander, puis je boutonnai ma chemise en lin aussi haut que possible. Je jetai un œil à mon reflet dans le miroir, cherchant l’indice d’une altération – une lueur dans mes yeux qui trahirait les nouveaux territoires où je m’étais aventuré. Néanmoins, mon apparence n’avait en rien changé par rapport au jour précédent.

Sans bruit, j’empruntai l’escalier de derrière pour descendre au bureau de mon père. Le programme de ce dernier était réglé comme du papier à musique : il passait toujours ses matinées à inspecter la plantation en compagnie de Robert.

Une fois enfermé dans la pièce fraîche et sombre, je laissai courir mes doigts sur les reliures en cuir de chaque étagère, apaisé par la douceur de leur toucher. Je caressais un simple espoir : trouver quelque part dans les piles et les rayons de livres sur tous les sujets, un ouvrage capable de répondre à une partie de mes questions. Je me souvins que Katherine lisait Les Mystères de Mystic Falls et m’aperçus que l’ouvrage avait disparu de la bibliothèque ou que, en tout cas, il n’apparaissait nulle part en évidence dans la pièce.

Je passais d’une étagère à une autre sans but précis, écrasé, pour la première fois, sous le poids des livres que Père gardait dans son bureau. Où pourrais-je bien trouver des informations sur les vampires ? Père possédait des pièces de théâtre, des romans, des atlas et deux étagères pleines de bibles, certaines en anglais, d’autres en italien et d’autres encore en latin. Je caressai les lettres d’or sur les reliures en cuir de chaque livre dans l’espoir de découvrir quelque chose.

Pour finir, mes doigts se posèrent sur un petit volume abîmé dont le titre, Demonios, était imprimé en lettres argentées à moitié effacées. Demonios… les démons… Voilà ce que je cherchais. J’ouvris le livre, mais il était rédigé dans un vieux dialecte italien dont je ne comprenais pas un traître mot, en dépit de mes quelques notions dans cette langue.

Je pris néanmoins le livre et allai m’asseoir dans le fauteuil en cuir. Tenter de déchiffrer le texte devrait être davantage à ma portée qu’essayer de manger mon petit-déjeuner en faisant comme si tout était normal. Je suivis du doigt les phrases en les lisant à voix haute à la manière d’un écolier et en veillant à ne pas rater le mot vampiro lorsqu’il se présenterait. Je finis par tomber dessus, mais les phrases qui l’entouraient n’étaient que du charabia pour moi. Je poussai un soupir de frustration.

À cet instant précis, la porte du bureau s’ouvrit dans un grincement.

— Qui est là ? m’écriai-je.

— Stefan ! (Le visage rougeaud de mon père était marqué par l’étonnement.) Je te cherchais.

— Oh ?

Je portai la main à mon cou de peur que Père ne devine le bandage sous le col de ma chemise. Je ne sentis rien d’autre que la délicatesse du lin sous mes doigts. Mon secret était bien gardé.

Père m’adressa un regard étrange. Il s’avança vers moi et prit le livre sur mes genoux.

— Toi et moi, nous pensons pareil, dit-il alors que, sur ses lèvres, se dessinait un drôle de sourire.

— Ah bon ?

Mon cœur, dans ma poitrine, se mit à battre comme les ailes d’un colibri et j’aurais juré que Père pouvait entendre mon souffle court. J’étais prêt à parier qu’il pouvait lire dans mes pensées, qu’il était au courant pour Katherine et moi. Et, s’il savait pour Katherine, il la tuerait et…

Je ne voulais même pas songer au reste.

Père sourit à nouveau.

— Absolument. Je sais que nos conversations sur les vampires te tiennent à cœur et j’apprécie ton sérieux à l’égard d’un tel fléau. Bien sûr, je n’ignore pas que tu as tes propres raisons de vouloir venger la mort de ta tendre Rosalyn, termina Père en faisant le signe de la croix.

Je fixai un point du tapis d’Orient ; le tissu en était si usé que je pouvais voir la teinte du plancher en dessous. Je n’osais pas regarder Père en face et risquer que l’expression sur mon visage nous trahisse, moi, mon secret et celui de Katherine.

— Sois certain, mon fils, que la disparition de Rosalyn n’a pas été vaine. Elle est morte pour Mystic Falls et nous nous en souviendrons au moment de débarrasser la ville de ce malheur. Quant à toi, bien sûr, tu fais partie intégrante du plan. Contrairement à ton frère, ce bon à rien. À quoi sert tout ce qu’il a appris au combat s’il ne l’applique pas pour protéger sa propre famille, ses terres ? Pas plus tard qu’aujourd’hui, il est allé faire une balade à cheval avec ses anciens camarades de l’armée. Et ce, même après que je lui ai dit que je comptais sur lui ce matin pour nous accompagner à notre réunion chez Jonathan.

Mais déjà j’avais décroché. Tout ce qui m’importait, c’était qu’il ne soit pas au courant pour Katherine. Mon pouls ralentit.

— Je n’ai pas pu tirer grand-chose de cet ouvrage. Il ne me semble pas très utile, déclarai-je comme si j’avais passé toute la matinée à faire d’innocentes recherches dignes d’une thèse sur les vampires.

— C’est aussi bien de cette façon, commenta Père d’un ton dédaigneux avant de replacer le livre sur l’étagère. Je pense qu’à nous deux nous en savons suffisamment.

— Tous les deux ?

Père agita la main en signe d’impatience.

— Toi, moi et les Fondateurs. Nous avons formé un comité pour gérer ce problème. Nous avons une réunion tout à l’heure. Tu m’accompagnes.

— Moi ?

Père me considéra d’un air contrarié. Je pris conscience que je devais passer pour un abruti, mais mon cerveau avait tant d’informations à traiter en même temps qu’il devenait difficile de savoir par quel bout commencer.

— Oui. J’emmène également Cordelia. Elle connaît bien les herbes et les démons. La réunion a lieu chez Jonathan Gilbert.

Père ponctua sa phrase d’un hochement de tête, comme pour indiquer que le débat était clos.

Je hochai la tête à mon tour, masquant ma surprise. Jonathan Gilbert était professeur d’Université et inventeur à ses heures perdues ; en privé mais pas seulement, Papa l’appelait « le Dérangé ». À présent, toutefois, il prononçait son nom avec révérence. Pour la centième fois de la journée, je me rendis compte à quel point le monde m’apparaissait sous un tout nouveau jour.

— Alfred est en train d’atteler les chevaux, mais c’est moi qui vais conduire. Ne dis à personne où nous allons. J’ai déjà fait jurer à Cordelia de garder le secret, dit Père en sortant à grandes enjambées de la pièce.

Une seconde plus tard, je lui emboîtai le pas, mais seulement après avoir glissé Demonios dans ma poche arrière.

Je m’assis près de lui sur la banquette avant de la calèche tandis que Cordelia s’asseyait à l’arrière, à l’abri des regards, afin de ne pas éveiller les soupçons. Cela semblait étrange de sortir d’aussi bonne heure dans la journée, surtout sans un domestique pour nous emmener. En passant devant le domaine voisin, Blue Ridge, je vis M. Vickery qui nous regardait bizarrement. Je lui adressai un signe de la main jusqu’à ce que Père pose la sienne sur mon bras, moyen subtil de me demander de ne pas attirer l’attention sur nous.

Père attendit que nous ayons passé le tronçon désert de la route en terre qui séparait les plantations de la ville pour parler :

— Je ne comprends pas ton frère. Tu le comprends, toi ? Quel genre d’homme ne respecte pas son père ? Pour un peu, je penserais qu’il est de mèche avec l’un d’entre eux, dit-il avant de cracher sur la voie.

— Qu’est-ce qui vous ferait penser ça ? demandai-je, mal à l’aise, alors que des gouttes de sueur ruisselaient dans mon dos.

Je passai un doigt sous mon col, horrifié au contact du pansement de gaze sur mon cou. Il était trempé, de sueur ou de sang, je n’aurais pu le dire avec certitude.

Je ne parvenais pas à mettre de l’ordre dans mes idées. Était-ce trahir Katherine que d’assister à cette réunion ? Trahissais-je Père en gardant le secret de Katherine ? Comment distinguer le bien du mal ? Tout me paraissait si confus.

— Le fait qu’ils aient ce genre de pouvoir, tiens !

Père fouetta Blaze comme pour marquer son argument. Le cheval poussa un petit gémissement, puis passa au trot.

Je pivotai pour observer Cordelia, mais elle continuait à regarder droit devant, impassible.

— Ils peuvent corrompre un esprit avant même que la personne s’aperçoive que quelque chose ne tourne pas rond. Ils les obligent à se soumettre entièrement à leurs caprices, les ensorcellent de leurs charmes. Un simple regard suffit pour qu’un homme fasse exactement ce qu’un vampire lui a dit. Et quand enfin celui-ci s’aperçoit qu’il est sous l’emprise totale de la créature, il est trop tard.

— Vraiment ? m’exclamai-je, sceptique.

Je repensai à la nuit précédente. Katherine m’avait-elle fait subir un tel traitement ? La réponse était non. Même lorsque j’avais eu peur, j’étais resté moi-même. Et toutes mes émotions m’avaient toujours appartenu. Les vampires pouvaient peut-être agir ainsi, mais Katherine ne m’avait certainement pas réservé ce sort.

Père laissa échapper un petit rire.

— Enfin, pas tout le temps. On peut espérer qu’un homme soit assez fort pour résister à ce type d’influence. En ce qui me concerne, je peux dire que je vous ai élevés ton frère et toi pour que vous deveniez des hommes forts ; là-dessus, il n’y a aucun doute. Il n’empêche que je continue à m’interroger sur ce qui peut bien se passer dans la tête de Damon.

— Je suis certain qu’il va bien, tentai-je de le rassurer, soudain inquiet moi-même, pourtant, à l’idée que Damon ait pu découvrir le secret de Katherine. Je pense qu’il n’est pas sûr de savoir ce qu’il veut, c’est tout.

— Je me moque de ce qu’il veut. Ce qu’il ne faudrait pas qu’il oublie, c’est qu’il est mon fils, et que je ne tolérerai pas qu’il me désobéisse. Les temps sont dangereux et ça, Damon ne semble pas du tout le mesurer. En plus, il faut qu’il comprenne que, s’il ne se range pas dans notre camp, les gens risquent d’en déduire qu’il a choisi d’apporter son soutien ailleurs.

— D’après moi, il ne croit tout simplement pas aux vampires, répondis-je, l’estomac soudain noué.

— Chhh ! fit Père tout bas en agitant la main pour me faire taire.

Nous étions arrivés en ville, et nous longions à l’instant le saloon où Jeremiah Black frôlait déjà le coma éthylique près de la porte, une demi-bouteille de whisky à ses pieds.

Je doutais que Jeremiah Black ait surpris la moindre bribe de notre conversation ou qu’il ait même vu quoi que ce soit, mais je me contentai de hocher la tête, saisissant l’opportunité de replonger dans le silence pour mettre de l’ordre dans mes idées.

Je jetai un coup d’œil sur la droite et j’aperçus Pearl et sa fille assises, en train de s’éventer, sur le banc métallique devant la vitrine de leur magasin. Je les saluai d’un geste de la main elles aussi, mais, voyant le regard de défi de Père, me ravisai au moment de leur crier « bonjour ».

Je restai assis sans rien dire jusqu’à ce que nous soyons parvenus de l’autre côté de la ville, où Jonathan Gilbert habitait une demeure mal entretenue qui avait autrefois appartenu à son père. Père se moquait souvent du fait que la maison tombait en ruines, mais, ce jour-là, il ne fit aucun commentaire en ouvrant la porte de la calèche.

— Cordelia ! l’appela sèchement mon père pour qu’elle grimpe les marches branlantes de la résidence Gilbert devant nous.

Nous suivîmes et, avant que nous ayons eu le temps de sonner à la porte, Jonathan en personne nous accueillit.

— Je suis ravi de vous voir. Giuseppe. Stefan. Et vous devez être Cordelia. J’ai beaucoup entendu parler de votre savoir en matière de plantes indigènes.

Il lui offrit sa main.

Jonathan nous escorta dans le dédale de couloirs de la demeure jusqu’à une petite porte près d’une vaste cage d’escalier. Il l’ouvrit et nous fit signe d’entrer. L’un après l’autre, nous nous penchâmes afin de pénétrer dans un tunnel de trois ou quatre mètres de long environ, avec à son extrémité une échelle peu stable. Sans un mot, nous grimpâmes pour arriver dans un minuscule espace dénué de fenêtre où la claustrophobie me gagna instantanément. Deux bougies brûlaient dans des chandeliers ternis sur une table couverte de taches d’eau et, alors que mes yeux s’habituaient à la faible lumière ambiante, je distinguai Honoria Fells, délicatement assise sur un fauteuil à bascule, dans un coin. Le maire Lockwood et le shérif Forbes se tenaient côte à côte sur un banc en bois.

— Messieurs, commença Honoria en se levant pour nous saluer comme si nous étions simplement venus prendre une tasse de thé. Il me semble que nous n’avons pas été présentées… Madame…

Honoria lança un regard suspect à Cordelia.

— Cordelia, murmura-t-elle en étudiant un à un les visages avec suspicion.

Mon père, gêné, toussa.

— Cordelia a soigné Stefan lors de ses moments difficiles, après que sa…

— Après que sa fiancée s’est fait égorger ? termina le maire Lockwood avec brusquerie.

— Monsieur le maire ! s’écria Honoria avant de plaquer sa main sur sa bouche.

Pendant que Jonathan s’esquivait vers le vestibule de la maison, je m’assis sur une chaise au dossier droit, aussi loin que possible du groupe. Je ne me sentais pas à ma place, mais cela devait être pire pour Cordelia, qui avait entre-temps pris position sur une chaise en bois visiblement inconfortable près du fauteuil à bascule d’Honoria.

— Eh bien, à présent, nous interpella Jonathan Gilbert, revenu les bras chargés d’outils, de papiers et d’objets en tous genres que je n’aurais su identifier (Il s’installa en bout de table, sur un fauteuil en velours mangé par les mites, et regarda autour de lui.), nous pouvons commencer !

— Le feu, dit simplement Père.

Je fus soudain parcouru de frissons. C’est dans un incendie que les parents de Katherine avaient péri. Cela signifiait-il qu’ils étaient vampires, eux aussi ? Katherine avait-elle été la seule à pouvoir s’échapper ?

— Le feu ? répéta le maire Lockwood.

Mon père confirma d’un hochement de tête.

— On a mentionné à de nombreuses reprises, en Italie, qu’on pouvait les détruire par le feu, de même qu’en les décapitant ou en leur enfonçant un pieu dans le cœur. Et, bien sûr, il existe aussi des herbes qui peuvent nous protéger.

Du menton, Père désigna Cordelia.

— La verveine, déclara celle-ci.

— La verveine, dit Honoria d’un air songeur. Comme c’est joli.

Cordelia pouffa.

— Ce n’est rien d’autre qu’une herbe. Seulement, quand vous en portez sur vous, elle vous protège du diable. On raconte aussi qu’elle agit comme remède pour les gens qui ont été en contact avec lui. Mais, pour ces démons que vous appelez vampires, c’est rien que du poison.

— J’en veux !

Honoria, impatiente, tendit la main avec cupidité.

— Je n’en ai pas sur moi, répondit l’intéressée.

— Ah non ? souleva Père en lui décochant un regard sévère.

— J’en ai cueilli dans le jardin pour les remèdes de M. Stefan et, lorsque je suis allée en chercher ce matin, tout avait disparu. Un coup des enfants, sûrement, expliqua Cordelia avec indignation tout en me fixant droit dans les yeux.

Je détournai le regard et me rassurai en pensant que, si elle avait été au courant de la vraie nature de Katherine, elle en aurait informé mon père depuis longtemps.

— Eh bien, où puis-je m’en procurer alors ? persista Honoria.

— Il y en a probablement juste sous votre nez, répliqua Cordelia.

— Quoi ? s’offusqua l’autre femme, comme si on l’avait offensée.

— Ça pousse partout. Sauf dans notre jardin à présent, rajouta la spécialiste sur un ton énigmatique.

— Bon, commença Père après des coups d’œil aux deux interlocutrices, soucieux de résoudre la situation. Après cette réunion, Cordelia n’aura qu’à accompagner Mlle Honoria à son jardin pour trouver de la verveine.

— Attendez une minute, enfin ! s’interposa le maire Lockwood, frappant la table de son gros poing. Je m’y perds avec ces discours de bonnes femmes. Vous voulez dire que, si je porte un brin de lilas, les démons me laisseront tranquille ? railla-t-il.

— De la verveine, pas du lilas, corrigea Cordelia. Ça écarte les mauvais esprits.

— Oui, affirma sagement mon père. Et tous les habitants de la ville devraient en porter. Veillez-y, maire Lockwood. Ainsi, non seulement nos concitoyens seront protégés, mais toute personne qui n’en portera pas révélera au grand jour sa nature de vampire et nous pourrons la brûler.

La voix de Père était si douce, si neutre qu’il me fallut user de tout mon sang-froid pour ne pas me lever, descendre l’échelle bancale en un éclair, aller chercher Katherine et m’enfuir avec elle.

Mais imaginons que je fasse cela… Si Katherine était aussi dangereuse que les Fondateurs le laissaient penser… Je me sentais pris au piège, tel un animal. Étais-je enfermé avec l’ennemi à cet instant précis ou l’ennemi était-il à Veritas ? Je savais que, sous le col de ma chemise, ma blessure commençait à saigner à nouveau et que ce n’était qu’une question de temps avant que le sang transperce le tissu et apparaisse, signe patent de ma trahison.

Le maire Lockwood fit craquer sa chaise en bougeant tandis que je m’impatientais sur la mienne.

— Maintenant, que l’herbe fonctionne, c’est une chose, mais nous sommes en pleine guerre et de nombreux officiels passent par Mystic Falls pour aller à Richmond. Si la rumeur se propage que, au lieu de soutenir la cause des sudistes, nous combattons des créatures de livres de contes avec des fleurs… (Le maire secoua la tête.) Impossible de faire passer un décret pour que tout le monde porte de la verveine.

— Ah vraiment ? Alors comment savoir que vous n’êtes pas un vampire ? demanda mon père.

— Père ! m’exclamai-je. (Il fallait que la voix de la raison se fasse entendre.) Le maire Lockwood n’a pas tort. Nous devons réfléchir calmement. De façon rationnelle.

— Votre fils a la tête sur les épaules, constata le maire à contrecœur.

— Elle est mieux faite que la vôtre en tout cas, maugréa Père.

— Bon… nous reparlerons de la verveine plus tard. Honoria, je vous charge de veiller à ce que nous en ayons une réserve suffisante. En attendant, nous ne pouvons qu’encourager ceux que nous aimons à en porter. Pour l’instant, j’aimerais discuter des autres moyens qui existent pour identifier les vampires parmi nous, intervint Jonathan Gilbert fiévreusement alors qu’il dépliait de grandes feuilles de papier sur la table.

Le maire Lockwood plaça ses lunettes à double foyer sur son nez et scruta les documents sur lesquels figuraient des schémas de mécanique complexes.

— Cette chose, ici, ressemble à une boussole, remarqua-t-il, le doigt pointé sur l’un des schémas.

— En effet ! Mais, au lieu d’indiquer le nord, elle permet de localiser les vampires, expliqua Jonathan, qui ne pouvait contenir son exaltation. Je suis en train de travailler au prototype. Il reste quelques ajustements à faire. Cet appareil est capable de détecter le sang. Le sang d’autres personnes…

Il termina sur ce sous-entendu.

— Je peux voir, monsieur Jonathan ? demanda Cordelia.

L’homme leva le nez avec surprise, mais lui tendit les papiers. La femme secoua la tête.

— Non, dit-elle. Le prototype.

— Oh ! Eh bien, il est vraiment à l’état brut, prévint Jonathan pendant qu’il fouillait dans la poche arrière de son pantalon. Il en sortit un petit objet en métal brillant qui rappelait davantage un jouet d’enfant qu’une arme contre les victimes.

Cordelia fit tourner la boussole entre ses mains.

— Et ça marche ?

— Disons… (Jonathan haussa les épaules.) que ça va marcher.

— Voici ce que je propose. (Père s’appuya contre le dossier de sa chaise.) Nous nous armons de verveine. Nous travaillons jour et nuit à l’achèvement de la boussole et nous élaborons un plan. Décrétons un état de siège et, dans un mois, vous verrez que notre ville sera débarrassée de ces démons.

Sur ces paroles, mon père croisa les bras et s’enfonça plus encore dans son siège, une expression de satisfaction sur le visage. À tour de rôle, tous les membres de l’assemblée, y compris Cordelia, hochèrent la tête en signe d’approbation.

Une main posée sur mon cou, je changeai de position sur ma chaise. Dans le grenier, l’air était chaud et humide ; des mouches bourdonnaient dans les chevrons, à croire que c’était le plein mois de juillet plutôt que la mi-septembre. J’aurais tout donné pour un verre d’eau, oppressé que j’étais par la sensation que les murs de la pièce se refermaient sur moi. J’avais besoin de revoir Katherine, de me rappeler ainsi que ce n’était pas un monstre. Ma respiration devenait de plus en plus irrégulière et je craignais, en restant ici, que quelque chose ne finisse par m’échapper.

— Je ne me sens pas très bien, dis-je soudain.

Les mots semblèrent venir de quelqu’un d’autre. Ils sonnaient faux, et mon père m’adressa un regard noir. Je voyais clairement qu’il ne me croyait pas. Heureusement, Honoria exprima sa compassion par de petits bruits.

Père se racla la gorge.

— Je vais raccompagner mon garçon, annonça-t-il à l’assemblée avant de me suivre pour emprunter la fragile échelle. Stefan, m’appela-t-il en me retenant par l’épaule juste au moment où je m’apprêtais à ouvrir la porte me séparant d’un monde qui, lui au moins, faisait sens pour moi.

— Quoi ? haletai-je en tournant la poignée.

J’accueillis la brise, fraîche sur mon visage, avec délice et ne me donnai même pas la peine de faire face à mon père lorsqu’il se mit à parler.

— Souviens-toi : pas un mot de tout ceci à qui que ce soit. Pas même à Damon. Pas avant qu’il retrouve ses esprits. Bien que d’après moi son esprit soit tout entier dévolu à notre Katherine, ajouta Père à moitié pour lui-même en me lâchant le bras.

Je me tendis en entendant prononcer le nom de Katherine mais, lorsque je fis demi-tour, Père me tournait déjà le dos et partait rejoindre les autres.

Je descendis à pied vers la ville, regrettant de ne pas être venu avec Mezzanotte plutôt qu’en calèche. Je n’avais d’autre choix que de faire tout le chemin en marchant. Je pris à gauche pour couper à travers les bois : j’avais eu mon compte pour la journée et je souhaitais à tout prix éviter le contact avec d’autres êtres humains.

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